E-Formes 2 : Au risque du jeu
Citer cet ouvrage
Monique Maza, Alexandra Saemmer, 1970, E-Formes 2 Au risque du jeu, Saint-Etienne, PSE
Lieu commun numéro 1 : Pourquoi parler de risque ? Tout art est jeu «Tout art est jeu» : cette formule est très couramment avancée lorsqu’il s’agit de discuter de la dimension ludique de l’art. Elle trouve l’un de ses fondements théoriques dans les thèses de Donald Winnicott, pour qui le jeu constitue toujours une expérience créative : il existerait un développement direct allant des phénomènes transitionnels au jeu, du jeu au jeu partagé et, de là, aux expériences culturelles : «C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité tout entière.» Souvent les défenseurs du «tout-jeu» dans l’art omettent pourtant de mentionner les nuances que Donald Winnicott apporte à ses propos. Ainsi précise-t-il qu’il faut dissocier l’idée de la création de celle des oeuvres d’art, et faire une distinction entre ce qui relève de l’art et ce qui s’inscrit dans le registre, plus large, de la culture. En effet, un bon jeu vidéo constitue incontestablement un produit culturel, mais pas toujours une oeuvre d’art. Même si l’art n’est donc pas réductible au jeu, il paraît tout aussi impossible de contester l’existence d’une dimension ludique dans l’art : n’est-ce pas l’un des privilèges fondamentaux de l’art de pouvoir jouer librement, de façon désintéressée avec les matériaux, les codes, les langages, alors que la science, l’artisanat et, dans ses branches industrialisées, le design sont «condamnés» à produire, à capitaliser ? Tant du côté de la réception que du côté de la création artistique, nous parlons par exemple de «jeux sur le langage» pour caractériser une certaine manipulation inhabituelle des conventions et des codes, tantôt légère et re-créative comme certaines plaisanteries (des witze), tantôt impertinente ou énigmatique comme certaines métaphores, tantôt vertigineuse ou éclairante comme certaines analogies.